ALAIN ECKERT QUARTET

Alain Eckert Quartet

(Soleil Mutant 40 // CD) épuisé

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Alain Eckert fut le guitarites d’Art Zoyd durant leurs meilleurs moment (« Symphonie pour le jour.. », « Génération sans futur » ..). Cet album, enregistré en quartet en 1981 avec Alain Lecointe à la basse (Hamsa Music, Nadavati, Strave), Patricia Dallio au piano (Art Zoyd) & Serge Bringolf à la batterie (Strave) fait montre d’une musique inspirée, un jazz progressif avec de nombreuses influences classiques (20e). Un morceau est dédié à Univers Zéro.
Avec en bonus 30 minutes live enregistrées dans le club « A l’Ouest de la Grosne » par Jacky Barbier la même année.

DÉBUTS

ALAIN ECKERT : J’ai toujours joué de quelque chose, depuis que j’étais bébé, ou presque : de la flûte, de l’harmonica… Ma première guitare, je l’ai eue à dix ans, après une grève de la faim ! Mes parents avaient un peu peur… Moi, je ne me posais pas de questions, j’ai tout de suite joué. Tout seul dans ma chambre. J’ai longtemps joué de façon géométrique : je considérais les cases du manche et les cordes comme des abscisses et des ordonnées, c’était de la géométrie en quelque sorte… C’est pourquoi j’ai longtemps joué atonal. À l’époque, au début des années 70, Il n’y avait pas trop de concerts, alors avec des copains, on a commencé à faire ce qu’on appelait des « bals pop ». C’était le seul moyen de nous faire entendre. On jouait quelques valses pour le troisième âge mais aussi, quand même, du Jimi Hendrix, Led Zeppelin, Johnny Winter… Je n’ai jamais pris un seul cours de guitare mais à dix-huit ans, en 1973, j’ai décidé de faire de la musique mon métier et, comme je voulais être capable de déchiffrer la musique, je me suis inscrit en cours d’adultes au conservatoire de Douai, où j’ai appris le solfège, tout en continuant à faire du bal, mais cette fois dans des grands orchestres professionnels.
Art Zoyd a été mon premier groupe « sérieux ». En fait, je les connaissais de longue date. Ils étaient venus jouer dans mon lycée, en 1972. C’était le Art Zoyd de Rocco Fernandez, mais il y avait déjà Gérard Hourbette et Thierry Zaboitzeff. À l’époque la musique était assez influencée par Zappa, pas du tout par Bartok ou Stravinsky. J’avais eu le flash, et je m’étais dit, « Qu’est-ce que j’aimerais bien jouer avec eux ! ». C’était un rêve de gosse. Et puis un jour, un copain m’a dit que leur violoniste s’en allait, et m’a donné leur adresse. Je suis arrivé chez eux un soir. Ils n’étaient plus que trois. Rocco Fernandez était parti, et Gérard avait repris le groupe en main et avait composé tout le répertoire, très influencé par Bartok. Ça n’avait plus rien à voir avec ce que j’avais entendu au lycée, mais ça me plaisait toujours autant. On a fait le bœuf, et à la fin ils m’ont dit, « Tu peux revenir demain avec ton matériel ». J’ai été engagé comme ça. Ils ont trouvé que je jouais comme John McLaughlin dans Extrapolation. Quelques semaines auparavant, j’avais vu Soft Machine en concert à Douai, et j’avais complètement flashé sur le jeu de John Etheridge. Jusque-là, mes modèles, c’étaient Jimi Hendrix, Jeff Beck, et aussi Django Rheinhardt. John McLaughlin aussi, bien sûr. Mais Etheridge, ça a été une révélation. Un choc ! En rentrant chez moi, j’ai pris ma guitare, et je m’étais mis à jouer comme lui, comme ça, sans même avoir à travailler. C’est sans doute le guitariste qui m’a le plus influencé.
Au bout de quelques mois dans Art Zoyd, je me suis mis à jouer du violon, instrument dont je n’avais jamais joué auparavant. Je remplaçais un violoniste, et la guitare ne rendait pas bien : c’était tout petit… Alors j’ai emprunté un violon à Gérard et j’ai profité d’une pause de trois semaines entre deux tournées pour adapter tout le répertoire de la guitare au violon. J’ai tout de suite joué juste, sans avoir à chercher les notes. Je ne jouais plus de la guitare que dans « Les Fourmis », où il y avait un chorus de guitare. C’était au moment où on a fait une tournée d’un mois avec Magma, avec dix jours au théâtre de la Renaissance de Paris. Didier Lockwood jouait encore avec eux. Et donc il m’a d’abord connu comme violoniste !
Au bout d’un an et quelque dans Art Zoyd, j’ai décidé de partir. J’avais envie de rencontrer des musiciens dans le monde du jazz et du jazz-rock, et faire ma vie de musicien. Je voulais surtout improviser plus, parce qu’il n’y avait pas beaucoup de part à l’improvisation dans Art Zoyd, dont la musique était extrêmement écrite. J’avais une place confortable dans Art Zoyd, on jouait beaucoup, on faisait des disques et financièrement, ça allait, mais je voulais plus d’aventure.
J’ai quitté Art Zoyd deux ou trois mois après la tournée avec Magma. À ce moment, j’ai repris contact avec Jacky Barbier que j’avais connu avec Art Zoyd, on était passés chez lui. Il m’a dit, « Ça tombe bien, je cherchais à te joindre partout, je ne savais pas comment te trouver ! » Parce que je l’avais intrigué. J’avais joué après le concert, avec d’autres musiciens, et ça l’avait beaucoup intéressé, que je fasse des choses en plus d’Art Zoyd, des improvisations… Alors il m’a dit de venir chez lui, et je suis allé faire des séjours chez lui. C’est comme ça que j’ai rencontré National Health, à un moment où je n’étais pas dans un groupe.

PATRICIA

ALAIN ECKERT : Pendant l’été 1977, j’étais chez Jacky. Didier Lockwood répétait là-bas avec son nouveau groupe, Surya. Des musiciens de Carmina, groupe de Chaumont, qui avaient entendu dire que le guitariste d’Art Zoyd était chez Jacky, sont passés. Il y avait Manuel Denizet à la batterie, Philippe Gisselmann au sax et Michel Radel à la basse. Ils m’ont proposé de monter avec eux une nouvelle formule du groupe avec moi. Ils savaient que je composais, or eux n’avaient plus de compositeur. Je suis reparti avec eux à Chaumont et on a joué ensemble un certain temps, mais ça n’a rien donné au final. Mais c’est là que j’ai rencontré Patricia. Quand je l’ai connue, elle prenait des cours avec une grande concertiste à Dijon, Claude Bazenet, et jouait du Ravel, Debussy et Bartok… Mais parallèlement, elle adorait des groupes comme Hatfield and the North, et Art Zoyd aussi. Dans les mois qui ont suivi, j’ai quitté ma région, le Nord, et je me suis installé avec Patricia à Chaumont, et on a commencé à jouer en duo. Très vite on a cherché à jouer. On a commencé par les MJC de la région, et après elle a fait vraiment un travail de management.

PATRICIA DALLIO : J’avais quand même fait partie d’un groupe, Héliume. C’était mon premier groupe d’adolescente, avec lequel j’ai fait mon premier concert, à Fribourg en Allemagne. Il y avait Yves Tramoy à la batterie, Michel Tramoy à la basse et Sylvain Carrel à la guitare. Je jouais de l’orgue, c’étaient mes compos et celles de Sylvain. Nous avons, je crois, fait deux concerts, avec un deuxième à Chaumont. C’était une chouette expérience qui m’a donné envie de continuer.

NATIONAL HEALTH

ALAIN ECKERT : Je passais quelques jours chez Jacky quand National Health est venu jouer. À part Soft Machine, je ne connaissais pas du tout cette scène anglaise. À la fin du concert, on a fait le bœuf tous les deux avec Pip Pyle, Jacky l’a enregistré et Pip l’a fait écouter à tout le monde en Angleterre. Quelques mois plus tard, quand Dave Stewart est parti, il m’a fait venir. J’y suis allé avec Patricia, espérant la caser, mais elle n’était pas prête. C’était trop difficile pour elle. On a répété un certain temps, des compositions de Phil Miller et de John Greaves surtout, et quelques trucs de moi, des choses que j’avais jouées dans différents groupes mais jamais enregistrées au final. Mais ça n’a rien donné, ni disque ni même tournée.

PATRICIA DALLIO : J’ai passé un mois chez Pip Pyle pour accompagner Alain. J’ai le génial souvenir d’avoir fêté mes vingt ans avec John, Pip, Alain et Phil Miller dans un pub près de la maison. C’était le 3 novembre 1978 – facile à se rappeler ! J’étais là en touriste et pendant qu’ils répétaient, je travaillais sur un piano dans un studio à côté avec un multipiste de Phil. Pip avait écrit un super morceau que j’avais déchiffré avec toute l’équipe pendant une séance de travail, mais rien de plus. En tout cas j’ai passé un moment fantastique avec des gens adorables et bourrés de talent, de sensibilité et de musicalité. J’ai des souvenirs très forts de cette période. Alain et aux ont passé un super moment humainement et musicalement tous ensemble. J’ignore pourquoi il n’y a pas eu de suite.

BRINGOLF

SERGE BRINGOLF : À dix-huit ou dix-neuf ans, je suis allé à une vente aux enchères et j’ai racheté un vieux camion de la Poste. Je l’ai retapé, installé un lit de camp à l’arrière, et je suis parti faire le tour de France. Je suis allé frapper aux portes des MJC et des bars et je leur demandais je me laisser jouer. Tout le monde me prenait pour un allumé ! Un jour, à Lons-le-Saunier, on m’a répondu non, mais on m’a conseillé d’aller faire un tour du côté de Bresse-sur-Grosne, chez Jacky Barbier. J’ai roulé 70km à travers la campagne, jusqu’à ce village un peu médiéval, un no man’s land complet. Sur le moment, j’ai cru que je pourrais jamais repartir de là ! Finalement, j’ai trouvé Jacky et on a convenu d’une date pour mon groupe de l’époque, qui s’appelait Utopie.

ALAIN ECKERT : Un soir, j’étais à Chaumont, avec Patricia, et Jacky me téléphone, et me dit, « Écoute, tu devrais venir tout de suite, il y a un mec qui joue de la batterie, c’est Vander tout craché ! ».

SERGE BRINGOLF : Vander ? Bien sûr, c’était une influence, forcément, mais plutôt dans le sens d’une influence psychique, profonde. Dans l’énergie aussi, peut-être. C’est surtout qu’il était pratiquement seul, à l’époque. J’avais vu Magma en concert au Tivoli, à Strasbourg, et c’était assez incroyable à voir. Quel que soit l’instrument, j’ai toujours joué, comme lui, avec un investissement physique total, énorme. Il s’est trouvé que je jouais de la batterie, et que je chantais, mais ça aurait été la même chose autrement, alors forcément la comparaison est venue. Mais c’est avant tout une similitude de tempérament.

ALAIN ECKERT : Donc j’ai pris ma voiture, ce soir-là, avec Patricia. Quand on est arrivés, ils étaient en train de jouer. J’ai branché ma guitare, Patricia s’est mise au piano, et on a fait le bœuf. Ça a collé tout de suite. Vraiment terrible ! Après, on a discuté et on a décidé de faire un groupe ensemble. Il a viré les autres. tout le monde, et puis voilà. Ça a commencé comme ça. On a fait une longue tournée, mais on n’a rien enregistré. Je suis parti, j’ai fait d’autres choses, j’ai joué avec les Anglais, et on ne s’est retrouvés que plus tard.

SERGE BRINGOLF : Comme mon groupe tournait et avait des dates à faire, et qu’on était assez pressés de jouer ensemble, j’ai carrément changé de guitariste. En fait, ça a fusionné : j’ai gardé Étienne Jesel, le bassiste d’Utopie, et Alain et Patricia Dallio ont pris la relève des deux autres, parce qu’ils étaient plus concernés, impliqués, artistiquement. On a quand même gardé le nom Utopie, car les dates étaient prévues sous ce nom. On jouait dans des clubs, des MJC, dans l’Est surtout… La musique, c’était déjà du Strave, mais sans la « cuivrasse ».

ART ZOYD #2

ALAIN ECKERT : À un moment donné, je lui ai dit : « Si tu veux, je vais te présenter à Gérard Hourbette, et on va jouer dans Art Zoyd, tous les deux ». Ça s’est fait comme ça. Gérard était trop content d’avoir une pianiste qui lisait la musique, qui avait joué du classique… Ça a collé tout de suite. C’est un peu dommage qu’elle ait arrêté le classique, parce qu’elle s’en sortait plutôt très bien. Mais c’était indispensable. Je lui ai fait découvrir les gammes, les modes, tout ça. Au moment d’enregistrer mon disque, elle faisait encore ses débuts dans l’improvisation.

PATRICIA DALLIO : Alain avait déjà joué avec Art Zoyd, il en était parti. Puis nous avons ré-intégré (pour lui) et intégré (pour moi) ensemble le groupe. Je me souviens de la date exacte, le 19 juillet 1979. C’est une date assez simple et symétrique à retenir, mais surtout, commencer à travailler à vingt ans avec un groupe qui m’avait sidérée en concert, ça ne s’oublie pas !

ALAIN ECKERT : Dans Art Zoyd, j’étais frustré car j’avais très peu de solos. Un dans « Trois Miniatures », que j’avais composé, et un autre dans « Les Fourmis ». C’est tout ! Alors j’essayais d’en caser un maximum, de notes !
Mon départ définitif du groupe ? J’étais un peu fou-fou à l’époque, et il y avait un morceau qui était joué en duo par Hourbette et Zaboitzeff, au violon et au violoncelle. Un morceau très sérieux. Et il y avait une mobylette dans les coulisses, la mobylette du pompier. J’ai enfilé le casque et je suis passé en mobylette devant eux sur la scène ! Ça, ils ne l’ont pas encaissé. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ça se passait à Lille. Mais je ne pense pas qu’ils m’aient viré du jour au lendemain. Ils ont peut-être attendu un petit peu… Le temps de finir une tournée, ou je ne sais quoi. Patricia, elle, est restée. Ça lui plaisait trop !

PATRICIA DALLIO : Il me semble que pour moi, il y a eu Art Zoyd et le quartet d’Alain en parallèle à un moment. Se sont rajoutées à cela quelques dates avec le sextet de Jacques Thollot pour Alain et moi… C’est là que ça a coincé. On ne pouvait pas tout faire, et il y avait très peu de dates dans cette période avec Art Zoyd. Alors on a décidé d’aller jouer et de faire d’autres expériences. C’est le moment où Thierry Willems m’a remplacée pour enregistrer Phase V. Et je l’ai à nouveau remplacé plus ou moins une année plus tard.

THOLLOT

ALAIN ECKERT : On avait donné un concert à Bordeaux avec le groupe de Serge, et les gens de l’association étaient fans de Jacques Thollot. C’est ainsi que j’ai découvert son dernier disque en date, Cinq Hops. J’ai flashé sur la musique, et là encore, c’est Jacky qui nous a mis en contact. Il lui avait fait écouter une bande au téléphone et Jacques avait dit : « Il faut absolument le faire venir à Paris tout de suite, ça va être super ! » On a formé un nouveau groupe, avec Carole Rowley, une Américaine, au chant, Jean-Jacques Ruhlmann au sax… Au piano, il y a eu un temps Emmanuel Bex, puis j’ai fait engager Patricia. À la basse, il y avait surtout Gérard Prévost, mais aussi Alain Lecointe. C’est chez Thollot que j’ai fait sa connaissance. Je me souviens qu’on a joué à Tours, à Nancy, et au 28 rue Dunois.

PATRICIA DALLIO : Nous avons aussi joué un 31 décembre à la Maison de la Culture de Créteil, je crois… Concert présenté par André Francis et diffusé sur France-Musique.

ALAIN LECOINTE : Je n’ai pas un très bon souvenir du groupe de Thollot. Je n’ai pas eu, personnellement, un très bon contact avec lui. Je ne le savais pas à l’époque, mais il avait des problèmes avec l’alcool. Je n’ai de souvenir que d’un seul concert, dans un festival, je ne sais plus où…

ALAIN ECKERT : Avec Thollot, on a pas mal tourné, mais jamais enregistré. Je lui ai dédié le morceau « Promenade des Anglais » sur mon disque, parce que les harmonies rappellent beaucoup Cinq Hops. Jouer sa musique m’avait pas mal influencé, inconsciemment. La vraie Promenade des Anglais, la vraie, à Nice, je n’y ai jamais les pieds, le titre était un clin d’œil en forme de jeu de mots à mes amis anglais !

QUARTET

ALAIN ECKERT : Les morceaux du disque ont été écrits sur une période de six mois. Je travaillais avec un Révox, simplement. Je faisais les percussions avec les mains, sur des boîtes à thé, des choses comme ça, des genres de maracas. Et puis j’avais une basse, ma guitare… J’écrivais au fur et à mesure. Je composais comme ça, à l’époque. J’avais la guitare sur les genoux, et le crayon et le papier à la main. Et j’écrivais au fur et à mesure que je trouvais les notes. J’étais très zen ! Pas du tout des morceaux de thème ou quoi que ce soit, c’était vraiment de la composition très classique, en fait.

SERGE BRINGOLF : Compliqué logistiquement à gérer ? Non, ça va. On avait l’habitude de bouger, et en fait on répétait en général à Chaumont, pour le quartet. C’était super cool, il y avait Patricia qui habitait chez ses parents, et donc qui avait une maison où ils pouvaient héberger du monde. C’était sympa.

ALAIN LECOINTE : Géographiquement ? C’était le bordel ! Parce que moi, j’habitais à Paris, j’y ai toujours habité. Alain habitait à Chaumont avec Patricia, et Serge à Strasbourg. Chaumont c’est un peu entre les deux, donc Serge et moi, on faisait chacun de la route de notre côté et on se retrouvait à Chaumont, chez Alain qui habitait une maison avec un sous-sol où on pouvait répéter. Très prosaïque ! Le projet, c’étaient d’abord des concerts. Alain avait un circuit de salles qu’il avait connues travers Art Zoyd. Il les a contactées pour les prévenir qu’il avait le projet de monter un quartet, projet évidemment conditionné au fait qu’il y ait quelques dates à faire. Dans mon souvenir, ces premiers concerts, c’était plutôt dans l’Est : en Alsace, en Lorraine, dans le Doubs… On est aussi allés plusieurs fois jouer dans un petit club, un restaurant pizzéria je crois, au-dessus de Saint-Jean-de-Maurienne, en Savoie. Je ne me rappelle plus le nom du bled. Et on est, évidemment, passés plusieurs fois chez Jacky Barbier, À L’Ouest de la Grosne…
La musique, sur l’album, était plus conceptualisée. C’était très écrit, au niveau des thèmes, mais après c’était très ouvert sur l’impro. Il y avait quand même cet esprit improvisation jazz très prononcé, avec Alain. Mais par contre très précis au niveau de l’écriture, de la structure des morceaux…

SERGE BRINGOLF : Dans Strave, j’étais le seul compositeur, et ça m’allait très bien. Ça me suffisait. Alain avait assez de morceaux à lui. Ça me permettait de me concentrer sur mon rôle de batteur… Et quand je réécoute aujourd’hui le quartet, je suis content de ce que fait la batterie.
Lecointe s’est greffé, en fait, sur le truc, puisqu’avant on avait essayé différents bassistes. Et quand Alain est venu, c’est sûr que ça a complètement… calibré le truc, quoi !

PATRICIA DALLIO : L’expérience musicale était d’importance car c’était pour moi une transition entre la fin de mes études de piano et le début d’une approche de l’improvisation avec une adhésion totale à la musique modale qui caractérisait l’univers d’Alain. La particularité du quartet était surtout la mise en lumière du jeu exceptionnel d’Alain, et cela valait la peine ! Il était, cela dit, bien entouré par Serge Bringolf et Alain Lecointe… J’étais dans tout ça une petite jeunette qui commençait à peine à s’émanciper de ses études de piano classique… Je ne pense pas que le contenu ait pu révolutionner quoi que ce soit à l’époque, mais il y avait quelque chose de libératoire pour nous, au sortir d’une période Art Zoyd où la musique était absolument, totalement écrite, aussi belle soit-elle, et quelque peu rigide pour ses interprètes.

ALAIN ECKERT : Ce disque, je l’ai fait en me disant que ce serait plus « vendable » qu’une cassette pour les organisateurs de concerts. Je ne pensais que ce disque-là pourrait avoir une carrière comme ça. C’était plutôt un genre de démo. J’avais fait la connaissance d’Eric Faes quand j’ai participé à la deuxième version de Symphonie Pour Le Jour Où Brûleront Les Cités, qui a été enregistré chez lui. J’avais déjà quitté Art Zoyd à ce moment, j’étais juste un invité. Une fois rentré à Chaumont, j’ai décidé de faire mon propre disque, et j’ai pensé à lui pour une coproduction. Je lui en ai parlé, et c’est lui qui a trouvé tous les arrangements possibles. Il m’a vraiment facilité la tâche. C’est lui qui a créé le label, L’Amanite, pour moi.
La maison d’Eric était carrément dans les bois, avec un élevage de paons juste à côté du studio ! C’étaient des conditions idéales. Bon, évidemment, l’hébergement, c’était à la bonne franquette. Il y avait une partie du groupe qui dormait dans le studio, carrément, sur des matelas. Mais c’était vraiment une bonne ambiance. Très bon souvenir pour moi.

ALAIN LECOINTE : C’était un peu rustique, on dira ! L’hébergement était assez spartiate. Mais c’était l’époque qui voulait ça. Pour les concerts, on ne logeait pas dans des hôtels 4 étoiles non plus ! Je me souviens qu’il faisait très froid. Ce qui explique les photos sur le verso de la pochette, où je suis avec le col roulé plus un truc par dessus… Franchement, je n’en garde pas un très bon souvenir…

SERGE BRINGOLF : Les studios en ville, ça n’a jamais été mon truc. Un studio dans la cambrousse, ça vaut tout l’or du monde ! Là, on peut vraiment tout laisser de côté et se consacrer vraiment à ce qu’on est venu faire. Pour nous, les conditions étaient plutôt bonnes. Le côté « roots », on avait déjà connu ça chez Jacky Barbier ! C’était assez correct, le gars était sérieux. Je me suis bien éclaté. Ça m’a permis de découvrir la Belgique. Des gens super. Complètement allumés… mais adorables ! De temps en temps on allait boire une Cervoise bien fraîche au bar du village d’à côté, le bar « de souche », typiquement belge.

ALAIN ECKERT : Le studio, c’était un 8-pistes Otari, du matériel professionnel, mais petit matériel malgré tout. Grosse table de mixage. Écoutes JBL, je crois. C’était du bon matériel. Globalement, je crois que ce sont des prises live, en dehors des solos de guitare qui ont été rajoutés après, en re-recording. On avait fait quelques concerts, mais on n’avait répété sérieusement que deux jours. Pour « Duo », on a dû emmener du matériel et aller l’enregistrer chez des gens qui avaient deux pianos, un peu comme les sœurs Labèque. « Bonjour Jacky », le morceau à la guitare sèche, a été fait sans trafic, comme ça, en live.

ALAIN LECOINTE : Dans mon souvenir, l’enregistrement a duré une petite semaine, peut-être quatre ou cinq jours. On était assez préparés, on avait déjà répété. C’est assez live, je ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup de re-re. Par contre, on a peut-être fait plusieurs prises de chaque morceau.

SERGE BRINGOLF : On était assez au point. Donc ça a été assez rapide, au niveau des prises. Il vaut mieux, d’ailleurs, parce que si une séance dure trop, c’est que quelque chose ne va pas. Ce n’est plus une question de jours. Mieux vaut carrément rentrer à la maison, revoir sa copie et revenir l’année suivante !

ALAIN ECKERT : Ce qui ressemble à des nappes à la fin de « First », quand Patricia improvise avec la walking bass en accompagnement, en fait c’est de la guitare, mais jouée avec un rasoir Gillette – sans la lame, bien sûr ! Je le frotte au niveau du chevalet, tout en faisant des accords, et avec un peu de réverb, de l’écho, ça donne cet effet de nappes, comme un synthé. Dans « Valse Et Suite », pour obtenir l’effet de modulateur, j’ai coupé des allumettes en deux dans le sens de la longueur, légèrement, sur un centimètre, et je les ai « enfourchées » sur les cordes, au niveau de la caisse. À la fin de la « Danse Des Abouts », c’est autre chose, juste des harmoniques…
Beaucoup de mes thèmes jouent sur l’unisson. J’ai toujours aimé ça. Dans « La Danse Des Abouts », par contre, il y a une dissonance volontaire entre le piano et la guitare : il y a une seconde mineure de différence, un demi-ton, on ne peut pas faire plus dissonant ! Mais en fait, sur la maquette que j’avais faite avec mon Révox, j’avais mis trois guitares désaccordées d’un quart de ton les unes par rapport aux autres… Ça donnait un effet qui ressemblait à du phasing. C’était encore plus intéressant. Ça faisait quasiment musique contemporaine ! Mais ce n’était pas possible avec le piano, alors j’ai choisi la solution de facilité : un demi-ton d’écart.

ALAIN LECOINTE : Ma basse, c’était une Jazz Bass de 1978, originale, que j’avais fait défretter. Je l’ai toujours, et je ne la vendrai jamais ! Je l’avais faite transformer à l’époque, elle avait des micros Bartolini, enfin à l’époque ça s’appelait HI-A. Donc j’avais remplacé les micros, le chevalet. Et sur un titre, je crois que c’était « La Danse Des Abouts », je joue une Precision, Fender aussi, qui n’était pas à moi, que m’avait prêtée le luthier qui avait défretté ma Jazz Bass. C’est la Jazz Bass qu’on entend sur tous mes autres disques de l’époque, car je n’avais que celle-là. Et la Precision qu’on me prêtait à l’époque, je l’ai gardée assez longtemps. Même les disques de Zaka Percussion, c’est pareil, c’était la Jazz Bass, je n’avais plus la Precision.

ALAIN ECKERT : Univers Zéro… Ils sont tombés en panne avec leur camion. C’était un jeu de mots comme ça, « galère à Venise », parce qu’ils étaient tombés en pleine galère. Il n’y a pas eu de tour en gondole derrière ! C’était un jeu de mots entre la gondole et la galère, quoi !
La photo de la pochette… Ça, c’est à Lille. Dans le vieux Lille. C’est un copain à moi qui avait repéré cette ruelle-là, parce qu’on pouvait par circuler en bagnole ni rien du tout… Et voilà, c’est une ruelle malgré tout. Dans le vieux Lille.

APRÈS LE DISQUE

SERGE BRINGOLF : Après le disque ? Dans mon souvenir, ça a bien dû durer encore deux ou trois ans. Après, Alain et Patricia ont fait plein de concerts en duo, et de temps en temps on se revoyait. Ça s’est refait, mais de façon très occasionnelle.

ALAIN LECOINTE : J’ai été assez agréablement surpris par l’enregistrement du concert, par la qualité de la chose. C’était quand même pas mal du tout, pour l’époque.

SERGE BRINGOLF : Musique plus musclée en concert ? Oui, c’est possible. Il y a toujours une différence entre le studio, comme ça, bien léché et tout, il faut faire attention à tout, et après, le live. Et dans le live, il y a la bête qui sort. C’est pour ça que le live est important, il y a une différence phénoménale… C’est comme la différence entre le cinéma et le théâtre.

ALAIN LECOINTE : Alain était très ouvert, s’il y avait un morceau qui lui plaisait, la preuve en est, on le jouait. Il aurait pu y en avoir d’autres, que ce soit de ma part ou de la part de Serge. Il n’y avait aucun souci de ce côté-là, à partir du moment où ça rentrait dans le cadre du quartet et de l’esprit de la musique.
Je ne suis pas un compositeur très prolifique, mais j’avais déjà composé des titres avant, pour les différents groupes dans lesquels je travaillais, mais qui malheureusement n’ont jamais été enregistrés. « Dense », je l’avais joué, mais dans des groupes un peu anecdotiques, formés pour faire deux ou trois dates dans des clubs. Donc il n’y a pas de trace, malheureusement. C’était un morceau qu’on pouvait jouer assez facilement, sans trop de répétitions. C’était pas très dur, il n’y avait pas un thème compliqué, et la structure était assez simple. Un côté Magma ? Pas du tout. Ça n’a rien à voir avec Magma, bien que j’aie toujours été un grand fan de Magma, dès le début, dès le premier double-album, avec Richard Raux. Même, à une époque, j’allais voir Magma en concert et il y avait un bassiste à l’époque qui ne me plaisait pas du tout et j’étais allé voir Vander pour lui proposer mes services ! C’était le bassiste avant Jannick Top. Mais mon morceau, c’était plutôt dans un esprit funky, même Brecker Brothers, un peu, parce que j’avais prévu des cuivres, et tout, mais là, avec cette formation, c’était une adaptation. Il était jouable, la preuve, mais ça ne sonnait pas exactement dans l’esprit dans lequel je l’avais écrit. Mais je ne pensais pas du tout à Magma.
Par contre, ce qui est curieux, c’est vrai que quand j’ai réécouté le concert, je parle de l’ensemble des titres, je me disais que c’était quand même très magmaïen. En concert plus que sur le disque. L’album, je le trouve assez dégagé de cette influence, mais dans le concert j’ai été frappé par ça.
Les concerts après le disque ? Malheureusement, c’était assez marginal, il n’y avait pas d’agent, c’était du bricolage. De l’autoproduction, de l’autopublicité. C’est Alain et Patricia qui cherchaient, qui trouvaient les dates… Il n’y avait donc pas énormément de travail quand même, non plus. Et c’était assez artisanal. Donc ça n’a pas atteint… On n’a pas fait de gros festivals ou de trucs comme ça. Dans mon souvenir, en tout cas, ça a été toujours plus ou moins… Je ne me souviens pas de grosses scènes avec eux. Je me souviens de petits clubs, un peu comme chez Jacky Barbier, un club près de Saint-Jean-de-Maurienne… Voilà, c’est les souvenirs que j’ai.
Le circuit des petits clubs en Bretagne ? Non, la Bretagne avec eux, ça ne me dit rien du tout. Je l’ai fait avec Lavelle, par exemple, et quelques trucs avec Zaka Percussion, ou même avec mon groupe, que j’avais monté, Donké, groupe africain… Mais avec eux, non, pas du tout.

ALAIN ECKERT : Après le disque, le groupe a-t-il continué ? Pas trop. Peut-être deux ans. À un moment, mon jeune frère, qui faisait ses tout débuts – il démarrait, même s’il a commencé tôt aussi, lui je lui ai appris la musique aussi, je lui ai montré plein de plans, tout ça – a remplacé Alain. C’est Patricia qui trouvait les concerts pour le quartet. Et il y a eu une période où ça ne répondait plus. Il n’y avait plus de demande. Alors on a décidé de jouer en duo. Et là on a fait un maximum de concerts en duo. Là ça marchait bien. C’était une formule souple. On pouvait jouer partout, dans les cafés-théâtres, les clubs… C’était plus facile. J’avais écrit des nouvelles compositions. Je composais beaucoup, à l’époque. Il y avait de tout. Et il y avait aussi des reprises de Coltrane… mais beaucoup de nouveaux morceaux, que j’ai repris plus tard en trio avec Gérard Prévost et Dominique Esnault – c’était la bande du Splendid, Au Bonheur des Dames, Odeurs, tout ça – chez Coluche. Ce trio-là a fait des tournées, et aussi des maquettes qui ne sont jamais sorties, on n’arrive plus à retrouver les bandes malheureusement. C’était en 1984. L’ingénieur du son s’appelait Laurent de Gaspéris. Chez Coluche, il y avait un sous-sol avec un studio d’enregistrement, et Coluche m’avait dit, « T’es chez toi, tu viens quand tu veux ». Et donc j’allais chez Coluche régulièrement, faire des maquettes. Après la mort de Coluche, il a fallu tout déménager, et ils ont tout installé dans une cave, qui a été inondée. Tout est sans doute perdu… J’ai fait aussi des maquettes avec les Anglais, Pip Pyle, John Greaves et Sophia Domancich, là-bas. Des pop-songs – j’avais fait la musique et John les paroles, et il chantait. Ce sont des trésors qui sont introuvables maintenant…
En 1987, j’ai enregistré un album qui n’est jamais sorti. Je l’ai fait avec un arrangeur de variétés mais qui était fan de musique anglaise, de l’école de Canterbury et tout ça. Il jouait du synthé, il était batteur, et on a fait tous les deux une maquette. On a fait ça chez lui. À l’époque il avait du petit matériel. On a fait un maximum de choses avec ça, mais le son n’est pas très bon… La guitare est impeccable, vachement bien, mais c’est le reste… Des petits synthés avec des sons… redoutables ! Et il y a pas mal de boîtes à rythmes, aussi. Il y a quand même un morceau qui est vachement bien là-dedans, qui s’appelle « Jaco L’Oiseau », que j’avais composé en hommage à Jaco Pastorius. J’écoutais la radio tard la nuit, France-Inter, et j’entends « Pastorius est mort ». J’ai été choqué, et le lendemain matin j’ai composé ce truc-là. Et c’est très beau, j’en suis fier. Et là, il n’y a pas de boîte à rythme, par contre. C’est le seul morceau de tout ce disque-là qui est valable. C’est joué à la guitare sèche, il y a une belle mélodie…J’aurais bien voulu en faire quelque chose, de ce morceau..

Interviews : Aymeric Leroy 2013

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